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  • Dénonciation, collusion et diffamation publique en Allemagne : vers une nouvelle “RDA” ?

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels cueilli sur le site de Valeurs actuelles dans lequel il attire notre attention sur la politique liberticide qui se renforce en Allemagne sous l'égide de la coalition dirigée par le SPD.

     

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    Dénonciation, collusion et diffamation publique en Allemagne : vers une nouvelle “RDA” ?

    Deux exemples récents d’une importance similaire : l’imposition à l’échelle nationale d’un système de dénonciation honteux, et le scandale actuel concernant une ministre de l’Intérieur qui utilise ses propres services secrets ainsi que les médias publics pour discréditer l’un de ses plus proches collaborateurs — deux événements qui, s’ils s’étaient produits en Pologne ou en Hongrie, auraient suscité un tollé général sur la fin de “l’État de droit” — et des mesures politiques sérieuses de la part de la Commission européenne.

    L’appui public à la dénonciation politique

    Tout d’abord, le système de dénonciation. La nouvelle Hinweisgeberschutzgesetz — la “loi sur la protection des informateurs”, votée le 2 juillet 2023 — oblige toutes les entreprises de plus de 49 salariés à créer une Meldestelle (“cellule de dénonciation”), conduisant ainsi à la création ex nihilo d’un total de 90 000 (!) cellules de ce type dans le secteur privé et de plusieurs milliers d’autres pour la sphère publique. Les entreprises refusant de participer à cette initiative devront payer une amende pouvant aller jusqu’à 20 000 euros. L’objectif de ces cellules de dénonciation est de recevoir, d’évaluer et de transférer toutes les formes de dénonciation émanant d’employés ou même de personnes étrangères et de lancer des enquêtes appropriées. Les informations pertinentes doivent ensuite être transférées à l’État, où un décret publié le 11 août 2023 a mis en place un nouveau service central de dénonciation avec 22 employés et un budget de 5 millions d’euros par an — pour le début… À partir de 2024, ils pourront également utiliser un logiciel spécialement créé pour permettre la communication immédiate entre le nouveau service et les informateurs anonymes souhaitant entrer en contact direct avec l’État.

     Cette mesure est le résultat d’une nouvelle loi européenne sur la protection des “lanceurs d’alerte”, transformée par le gouvernement allemand en un programme proactif de facilitation des dénonciations politiques. En effet, au lieu de cibler uniquement les communications relatives à des crimes concrets et matériels, les cellules de dénonciation allemandes doivent également recevoir, évaluer et transmettre les formes d’allégations les plus variées, incluant expressément les soupçons de manque de “loyauté envers la constitution” (Verfassungstreue) et autorisant la violation délibérée du secret fiscal ou social. Il va sans dire que la loi oblige les nouvelles cellules à prendre au sérieux les dénonciations même anonymes. Qui plus est, la loi précise que les dénonciateurs, même s’il est prouvé qu’ils ont tort, bénéficieront d’une protection juridique spéciale contre le licenciement, ce qui constitue une incitation supplémentaire à exercer leur prérogative douteuse.

    Malheureusement, cette récente systématisation de la dénonciation publique, inédite depuis la fin de la République démocratique allemande, n’est que le dernier élément, bien que le plus important, d’une longue série d’événements similaires : depuis des années, des dizaines d’“applications d’information” les plus diverses ont été créées dans tout le pays afin de permettre la dénonciation de “crimes de haine” présumés ou d’actes de “délégitimation de l’État” (constituant désormais une accusation pénale grave en Allemagne). Rien que cette année-ci, la ville de Berlin a dépensé 830 000 euros pour subventionner une seule application permettant de signaler aux institutions publiques les formes les plus diverses de crime de pensée. Sans surprise, ces initiatives émanent presque exclusivement de la gauche politique et sont souvent étroitement liées aux nombreuses ONG censées “défendre la démocratie” dans sa “lutte contre la droite” (“Kampf gegen Rechts”), généralement financées directement ou indirectement par des fonds publics avec un budget en constante augmentation — le tout sous la supervision énergique de la ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser (SPD).

    L’instrumentalisation des médias publics et des services secrets par la ministre de l’Intérieur

    Deuxièmement, examinons le dernier scandale en date autour de la ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser (SPD). Faeser est connue pour considérer la “lutte contre la droite” comme l’objectif principal de son ministère, et parmi d’innombrables autres mesures contre toutes les formes de conservatisme, elle a été responsable l’année dernière de l’autorisation de démettre des fonctionnaires de leurs postes sur base du seul soupçon de convictions ou de comportements “anticonstitutionnels” : dans un renversement choquant du fondement même de l’État de droit, c’est désormais à l’accusé de prouver son innocence, s’il ne veut pas voir son existence matérielle détruite.

    Aujourd’hui, le limogeage par Mme Faeser du précédent responsable de la cybersécurité du ministère, Arne Schönbohm, lui revient en pleine figure, alors que de nouvelles preuves presque incroyables d’une collusion généralisée entre les intrigues politiques, le ministère, la télévision publique et les services secrets ont été révélées. En 2022, Arne Schönbohm avait été accusé, lors d’une émission satirique produite par la ZDF (la deuxième chaîne de télévision publique allemande), d’entretenir des relations douteuses avec certaines entreprises russes spécialisées dans la cybersécurité, et avait été immédiatement limogé par Mme Faeser. Toutefois, aucune de ces accusations n’avait pu être confirmée par la suite, mais peu importe : M. Schönbohm n’a jamais retrouvé son emploi précédent, mais a été rétrogradé à un autre poste beaucoup moins influent.

    Aujourd’hui, de nouveaux documents montrent que, même plusieurs mois après l’affaire, Faeser avait chargé le Verfassungsschutz (le service secret intérieur allemand) de rechercher partout des éléments susceptibles d’incriminer Schönbohm ; et bien que les experts en charge n’aient pu trouver aucune preuve, elle leur a ordonné de poursuivre leur enquête et de lui faire rapport. De plus, il y a même de forts soupçons que les premières accusations, non prouvées, portées par l’émission télévisée de la ZDF aient été formulées par la ministre elle-même et transmises à la chaîne publique par le biais de contacts informels entre les collaborateurs de Faeser et le journaliste chargé de l’émission satirique en question, Jan Böhmermann (connu depuis des années pour ses attaques enragées contre tous les opposants de la gauche politique et jouissant de la plus haute estime de la part du gouvernement en place).

    Le 5 septembre 2023, Mme Faeser a annulé sa présence à une audition devant une commission parlementaire pour des “raisons de santé” (tout en étant présente pour une séance photo) ; le 7 septembre, elle a refusé d’être présente à une deuxième audition, proposant d’envoyer l’un de ses collaborateurs. Son parti, les sociaux-démocrates allemands du chancelier Scholz, rejette toutes les accusations et tente actuellement de déplacer toutes les futures auditions parlementaires au mois d’octobre — juste après les élections dans le Bundesland allemand de Hessen, où Nancy Faeser est la candidate principale de son parti…

    Comment encore prendre au sérieux une ministre de l’Intérieur mettant en place un système de dénonciation inouï depuis la chute du communisme tout en semblant elle-même enfoncée jusqu’au cou dans une instrumentalisation peu ragoûtante de ses compétences ? Et que penser d’un gouvernement qui, au lieu de la limoger sur le champ, fait la sourde oreille tout en s’érigeant, en Europe, en arbitre de la rectitude démocratique ?

    David Engels (Valeurs actuelles, 8 septembre 2023)

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  • L’Europe, l’Occident et ses menaces...

    Nous reproduisons ci-dessous le texte d'un entretien accordé par David Engels au site Rage dans lequel il livre sa vision de la situation de l'Occident et de l'Europe...

    Historien, essayiste, enseignant chercheur à l'Instytut Zachodni à Poznan après avoir été professeur à l'Université libre de Bruxelles, David Engels est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a  également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020). 

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    L’Europe, l’Occident et ses menaces

    Edgar Bug : Bonjour David Engels et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Votre travail est très inspiré de celui d’Oswald Spengler, quels sont les éléments que vous partagez avec lui ? Quels sont vos points de divergences ?

    David Engels : Très généralement, je partage avec Spengler le constat selon lequel toutes les grandes civilisations traversent des stades morphologiques parallèles et sont mortelles, permettant de prédire au moins les lignes générales de l’évolution future des civilisations non encore pétrifiées. Et tout comme Spengler, je crois que la civilisation occidentale sera bientôt arrivée au bout de son parcours. En revanche, je ne partage pas la philosophie vitaliste de Spengler, dont le dualisme et le réductionnisme esthétique me semblent assez problématiques, ce pourquoi je préfère sous-tendre mon approche morphologique personnelle d’une structure plutôt dialectique. Il y a aussi certaines dissensions techniques entre Spengler et moi : j’ajouterais une demi-douzaine de civilisations in- ou méconnus par Spengler à sa liste, et procéderais à quelques datations différentes. Et finalement, je ne peux partager son enthousiasme pour la perspective d’une Europe dominée, selon lui, par l’Allemagne comme la « nouvelle Rome », même si l’évolution de l’Union européenne actuelle comme système hégémonique germanique semble lui donner raison…

    La civilisation occidentale est au cœur de vos travaux, comment la définiriez-vous ?

    Je procéderais par deux étapes. D’abord, celle historique, bien connue de tous : la civilisation occidentale ou européenne dont l’évolution morphologique proprement dite débute, selon moi, avec les Carolingiens et les Ottoniens, puise ses inspirations dans la loi de l’Ancien Testament, la philosophie gréco-romaine, la transcendance chrétienne et les traditions multiples des peuples européens autochtones. Puis, il y a l’étape psychologique : la civilisation occidentale est animée par un esprit unique souvent décrit comme élan « faustien », et qui distingue la vision du monde de l’homme occidental de celles des autres grandes civilisations, comme l’importance de la corporalité des Grecs, du patriarcat des Levantins, de la vision karmique des Indiens ou de l’immanence des Chinois. Cet élan faustien nous pousse à décliner les différentes phases dialectiques de notre civilisation dans un esprit de dépassement de soi, de quête de l’impossible, de démesure – en bien comme en mal, dans la transcendance comme dans le matérialisme, dans la contemplation comme dans la technologie. Pour visualiser cette particularité, il suffit de penser à l’opposition (et en même temps la continuité) entre la cathédrale gothique et le gratte-ciel new-yorkais…

    Quels sont les dangers qui la menacent ?

    L’occident actuel est menacé par deux dangers. L’un vient du dehors : il s’agit de la situation globale extrêmement dangereuse, où notre faiblesse a rendu possible la montée en puissance de la Chine, le danger de la migration de masse depuis l’Afrique, la radicalisation de l’Islam, l’agression de la Russie, etc. L’autre, plus importante, vient de l’intérieur : c’est l’autodestruction de l’occident qui suit à peu près les mêmes lignes que celle de toutes les autres grandes civilisations en fin de parcours : effondrement de la démographie, déclin de la religion, migration de masse, déconstruction de la famille, mondialisation, haine de soi, polarisation sociale, hédonisme, règne des milliardaires, pollution environnementale, une culture du pain et des jeux, et j’en passe.

    Qu’est ce que « l’Hespérialisme » ? En quoi peut-il constituer la solution aux problèmes de notre civilisation ?

    Le vieillissement et la fossilisation de notre civilisation me semblent inévitables. En revanche, deux questions restent ouvertes. Premièrement : qui décidera de la forme finale que prendra notre civilisation avant de se pétrifier pour les siècles à venir ? A Rome, ce fut la restauration augustéenne qui permit de mettre fin aux horreurs de la guerre civile et de donner un cadre politique définitif à la méditerranée gréco-romaine sous forme de l’Empire romain. Deuxièmement : comment transmettre notre héritage culturel ainsi finalisé et canonisé aux générations futures et même aux civilisations qui succéderont, un jour, quelque part, à la nôtre ? L’hespérialisme tente de donner des éléments de réponse aux deux questions en mettant en avance l’urgence du développement d’un sentiment de patriotisme occidental, évitant à la fois la myopie du souverainisme nationaliste, totalement inapte à protéger nos intérêts dans un monde dominé par des États-civilisation, et l’erreur mondialiste visant le brassage indistinct des cultures et l’établissement chimérique d’un État mondial.

    Quel regard portez-vous sur la guerre en Ukraine ? Cette guerre est-elle celle de Poutine ou assistons-nous à un conflit de civilisations ?

    L’un n’exclut pas l’autre. Il est évident que cette guerre est liée à l’ambition de Poutine d’effacer du moins en partie la « honte » de la dissolution de l’Union soviétique en rendant à la Russie une partie essentielle de son ancien espace impérial. Mais au-delà de l’aspect individuel, cette guerre est en effet une guerre des civilisations. D’un côté, nous avons la logique civilisationnelle occidentale à laquelle une majorité des Ukrainiens souhaitent adhérer, et qui est marquée par l’État-nation (bien que son indépendance actuelle se trouve de plus en plus réduite par des structures fédérales telles que l’OTAN et l’UE), une société civile forte (bien que largement kidnappée par la gauche), des structures démocratiques participatives (bien que de plus en plus sous la domination idéologique du wokisme), une économie libérale (bien que dominée désormais par le « socialisme des milliardaires) et une certaine exaltation de la liberté individuelle (bien qu’aboutissant dans l’hédonisme, le matérialisme et le consumérisme). De l’autre côté, nous voyons, dans la civilisation russe, une approche bien distincte de la nôtre, et marquée par l’approche impériale du « mir » russe où la fragmentation volontaire des identités nationales non-russes se mêle à une exaltation métaphysique de l’identité russe, le messianisme historique de la Troisième Rome, une idéalisation de l’autoritarisme comme seule forme de gouvernement adéquate à l’esprit russe, une manipulation massive de la religion (non seulement orthodoxe, mais aussi musulmane) à des fins politiques, etc. Spengler prévoyait déjà, en accord avec la plupart des penseurs russes du XIXe siècle, que la Russie, nonobstant une certaine occidentalisation « pétrinienne » superficielle, était une civilisation bien distincte de la nôtre, bien que nettement plus jeune, et la guerre actuelle me semble confirmer ce diagnostic.

    Comment expliquez-vous qu’en dépit de cette agression directe et brutale envers l’Occident, Poutine et la Russie ne soient toujours pas identifiés comme ennemis par de nombreux mouvements se réclamant du patriotisme en Europe et aux Etats-Unis ?

    D’un côté, le rejet de ce que notre civilisation est en train de devenir explique assez bien qu’aux yeux de bon nombre de conservateurs, quiconque s’oppose ouvertement aux dérives actuelles – immigrationnisme, culte LGBTQ, folie écologiste, multiculturalisme, hédonisme, instrumentalisation des droits de l’homme, américanisation, bienpensance, haine de soi etc. – semble être un allié naturel ; et Poutine sait jouer très bien la carte du défenseur des valeurs conservatrices, relayée depuis des années par des médias et des influenceurs pro-russes. Qui, en France ou en Allemagne, sait que la Russie actuelle est loin d’être la « Sainte Russie » des images d’Épinal et est caractérisée par une oligarchie mafieuse, un déclin prononcé de l’orthodoxie, un essor spectaculaire de l’islam, un taux d’avortement unique en Europe, une politique vaccinale nettement plus répressive qu’en Europe, et que les opposants au régime ne voient pas seulement, comme en occident, leur comptes dans les réseaux sociaux bloqués, mais aussi leur propre personne enfermée dans des camps de concentration ? Puis, d’un autre côté, n’oublions pas le budget considérable versé depuis la Russie afin de se constituer, parmi la droite, une Cinquième Colonne fidèle : pour beaucoup de conservateurs, mis aux ban de la société et exclu des fortunes versées par la gauche sur ces fidèles, c’est la seule véritable source de revenu…

    La droite refusant d’ouvrir les yeux face à la Russie comme la gauche face à l’Islam, comment l’Occident peut-il sortir de ce double aveuglement ?

    Tout d’abord, par une grande honnêteté intellectuelle. Les États-Unis ne sont pas l’antidote universel au danger russe, car dans sa critique des dérives idéologiques de la gauche occidentale, Poutine marque sans doute des points, et il serait naïf et dangereux de le nier : il nous faut, en effet, un retour à un patriotisme culturel basé sur la valorisation de nos structures de solidarité traditionnelles, non pas sur leur déconstruction. En revanche, la Russie ne m’en semble pas le meilleur garant d’un tel projet « hespérialiste » : d’abord, parce qu’en dépit de quelques ressemblances superficielles, les valeurs « conservatrices » russes sont assez divergentes culturellement de celles des conservateurs européens à cause de la vision très différente du monde et de l’homme ; puis, parce que la Russie veut, avant tout, protéger son propre espace impérial. Si, par chance, les conservateurs européens arrivaient à construire un véritable empire européen, les Russes s’en sentiraient autant menacés que par l’OTAN – et se mettraient à financer immédiatement une opposition de gauche… En même temps, il ne faut pas non plus se leurrer sur l’agenda des États-Unis : même si je ne partage par leur diabolisation si courante en France – après tout, il s’agit probablement du pays occidental où le conservatisme est encore le plus présent au sein de la société et des structures de pouvoir, nonobstant l’immense influence qu’exerce le wokisme par le biais du deep state sur le gouvernement actuel et, par lui et la culture hollywoodienne, sur le monde entier –, l’Europe ne peut éternellement se confiner au rôle de parent pauvre de l’empire américain. Et bien que les États-Unis réclament depuis des années un investissement militaire plus conséquent de la part des États européens au sein de l’OTAN, je ne suis pas sûr qu’ils verraient l’établissement d’une véritable force militaire et politique autonome sur notre continent d’un très bon œil… Ni les Russes, ni les Américains ne peuvent nous « sauver » : comme l’Italie au XIXe siècle , l’Europe doit « se faire elle-même ».

    Quelles leçons l’Occident doit-il tirer de cette guerre ? Ce drame ne démontre-t-il pas l’urgence de délivrer l’Occident des errances idéologiques dans lesquelles il s’est enfermé ?

    En effet, il est grand temps d’abandonner le suicide identitaire et spirituel dont souffre l’occident et de nous « réarmer », tant dans le sens littéraire que littéral du mot. Malheureusement, une grande partie des Occidentaux est déjà entrée dans la « posthistoire » à un tel point que je doute de la possibilité d’en « refaire un peuple » : un tel revirement pourra, au mieux, concerner une petite élite qui, une fois aux manettes d’un appareil médiatique, institutionnel et éducatif adéquat, pourra mener une part majoritaire des citoyens vers une acceptation superficielle de positions « conservatrices », bien que plutôt par opportunisme que par véritable conviction. Après tout, je ne crois pas que l’adhésion aux positions de gauche soit fondamentalement plus enthousiaste : les hommes de la posthistoire veulent surtout jouir de leur vie et être débarrassés du poids du passé…

    Depuis le début du conflit, le couple franco-allemand se trouve discrédité, alors que la Pologne s’est montrée exemplaire dans tous les domaines : l’accueil des réfugiés, la livraison d’armes à l’Ukraine, etc… Pensez-vous que la Pologne puisse devenir une puissance majeure de l’Europe dans les années à venir ?

    Non, je ne le crois pas – malheureusement. D’abord pour des raisons de taille, non seulement démographique, mais aussi économique : bien que l’économie polonaise actuelle s’accroisse, profitant à la fois de la non-saturation du marché national et de la délocalisation d’entreprises et de capitaux venant de l’occident, cette expansion connaîtra, tôt ou tard, un déclin analogue à celui qu’on constate en France ou en Allemagne. À défaut d’investir massivement dans le développement de technologies futuristes, la Pologne subira, à la longue, le même sort que ses voisins. Certes, elle pourra profiter un moment de son statut d’îlot préservé de la migration de masse si l’occident s’embrase dans le « clash des civilisations » – mais si la France et l’Allemagne sombrent, la Pologne sombrera aussi. Puis, pour des raisons d’idéologie : tant que Berlin, Paris, Bruxelles et surtout Washington continueront à être dominés par la gauche woke, celle-ci fera tout pour faire chavirer le conservatisme polonais… Ce serait uniquement grâce à un partenariat étroitissime avec les autres États Visegrad et Trimarium que la Pologne pourrait tenter de devenir un troisième pôle de pouvoir en Europe. Mais j’avoue ne pas avoir observé beaucoup de progrès à ce niveau ces dernières années ; au contraire : tous les projets de ce genre piétinent sur place. De même, l’espoir de voir l’Ukraine, une fois la guerre terminée, se transformer en un allié inconditionnel de la Pologne me semble assez naïf : Kiev s’alignera sur celui qui financera sa reconstruction. Et dans l’état actuel des choses, cet argent viendra de Berlin, non pas de Varsovie.

    Cette guerre a fait sauter un tabou, l’Allemagne et le Japon ont annoncé un réarmement sans précédent depuis la fin du dernier conflit mondial, c’est une page de l’histoire qui se tourne. Pensez-vous possible que ce mouvement puisse également emporter la mauvaise conscience de l’Occident héritée de cette période, et qui constitue la principale arme de guerre psychologique de nos ennemis ?

    Je ne crois pas. D’abord, ce « réarmement » allemand est un grand leurre : jusqu’à présent, rien de concret n’a encore été fait, et l’état de la Bundeswehr est plus mauvais que jamais ; et il y a fort à parier que les sommes faramineuses annoncées depuis mars 2022 aboutiront dans des programmes de formation à la diversité, au financement de la parité homme-femme au sein des troupes, à l’extension du programme de construction de chars adaptés au besoin de femmes enceintes (ce n’est pas une blague) ou au recrutement systématique de minorités musulmanes. Le seul point sur lequel je vois, en effet, un durcissement du langage martial en Allemagne, c’est dans le renforcement de la « lutte contre la droite » : depuis la guerre en Ukraine, la persécution du conservatisme a connu un nouveau sommet en Allemagne, et une bonne partie de la justification de cette lutte est la mise en avant de la similitude (apparente) entre les « valeurs » de l’ennemi russe et les valeurs conservatrices occidentales. Celui qui défend, aujourd’hui, la famille ou s’oppose à l’avortement se voit critiqué pour délit d’imitation de Vladimir Poutine… 

    David Engels (Rage, 21 juillet 2023)

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  • David Engels rencontre Antoine Dresse, le créateur d'Ego Non...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien de David Engels avec Antoine Dresse, créateur de la chaîne vidéo Ego Non et collaborateur de la revue Éléments.

    Historien, essayiste, enseignant chercheur à l'Instytut Zachodni à Poznan après avoir été professeur à l'Université libre de Bruxelles, David Engels est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a  également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020). 

     

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    «Ne vous contentez pas de critiquer, créez!» Interview avec Antoine Dresse - créateur de la chaîne „Ego Non“

    David Engels : Cher Antoine, il y a quelques années, vous avez créé la chaîne « Ego non » qui jouit désormais d’une notoriété certaine en tant que source d’inspiration et d’éducation à la pensée conservatrice. Pouvez-vous rapidement nous présenter votre initiative ?

    Antoine Dresse: Je terminais mes études de philosophie quand l’idée est née de créer cette chaîne YouTube. Mon inspiration première m’est venue d’un regret de voir que certains concepts ou idées majeures de la pensée politique de droite n’étaient pas assez connus ni mobilisés. Cela m’avait d’abord frappé avec certains concepts novateurs de Guillaume Faye, tels que « l’archéofuturisme » (auquel j’ai consacré ma première vidéo), qui méritent, à mon sens, d’être plus largement diffusés et discutés.

    Dans chacune de mes vidéos, j’essaie donc d’exposer un concept ou une idée majeure d’un auteur, en essayant à chaque fois de le relier, d’une façon ou d’une autre, à une problématique politique contemporaine. Je ne prétends nullement à la neutralité, bien au contraire. Le choix des idées que je présente reflète naturellement une orientation politique, même si je ne partage pas forcément toutes les pensées de l’auteur dont je parle. Je poursuis donc un double but : Premièrement, susciter la curiosité intellectuelle des spectateurs en faisant découvrir certains auteurs ou certaines idées ; deuxièmement, offrir un nouvel angle pour repenser ou recentrer une problématique politique contemporaine.

    L’on critique en effet bien souvent les délires et les dérives de la pensée de gauche, progressiste et égalitaire. La critique est saine et même bien souvent salutaire, mais il me semble qu’il faut aussi pouvoir dépasser ces dérives par « le haut », si je puis dire. Face à la conception du monde propre des hommes de gauche, qui est totale, il faut savoir aussi offrir une conception du monde totale. Prenons un exemple précis : la gauche est égalitaire par essence. Devons-nous nous contenter de dénoncer les dérives de l’égalitarisme tout en conservant l’Égalité comme valeur intouchable ? Ou bien plutôt montrer que la beauté du monde et le développement de la personne humaine ne vont pas sans l’Inégalité ? C’est ce que j’ai essayé de faire avec ma vidéo sur la « philosophie de l’Inégalité » de Nicolas Berdiaev notamment.

    D’origine belge, vous vivez actuellement à Varsovie – un vécu qui m’est, comme le lecteur peut l’imaginer, assez familier. Pouvez-vous nous décrire en quelques mots votre parcours ?

    Mon parcours est assez « européen », si je puis dire ! J’ai grandi dans la ville de Liège, dans la région wallonne et francophone de Belgique. Reprenant une image de Joseph de Maistre, j’ai coutume de dire que j’ai découvert le monde antique sur les genoux de ma mère, à travers les grands récits de la mythologie grecque qu’elle me racontait durant ma petite enfance. La culture grecque n’est en effet pas anodine et a assurément imposé son empreinte sur moi, elle vous communique pour toujours, et à jamais, le sens d’une hiérarchie des valeurs face auxquelles les slogans modernes apparaissent comme ce qu’ils sont vraiment : des simulacres de valeurs.

    Passionné par la culture européenne, j’ai ensuite appris l’anglais, l’allemand et le russe quand j’étais adolescent. A l’âge de 18 ans, avant de commencer l’université, j’ai décidé de passer plusieurs mois en Allemagne et en Russie pour perfectionner la connaissance de ces langues d’une part et pour découvrir la mentalité de ces pays d’autre part. Cette expérience a sans nul doute contribué à consolider en moi un solide européanisme. A mon retour, j’ai commencé des études de philosophie en Belgique – ainsi qu’à Fribourg, en Suisse, pour une année. Même si je m’étais déjà intéressé à la pensée politique auparavant, c’est pendant ces années universitaires que je me suis véritablement formé intellectuellement de mon côté, en lisant tout ce que je pouvais trouver comme vieux livres dans les bouquineries de la capitale. Dans le cadre de mes études plus spécifiquement, je me suis concentré sur la philosophie médiévale et ai rédigé mon mémoire de fin d’études sur Jean Scot Érigène, un grand philosophe irlandais de la renaissance carolingienne.

    A l’issue de mes études, j’ai décidé de combiner mon intérêt pour l’Europe centrale avec la professionnalisation de mon activité de vidéaste. Je me suis installé à Varsovie pour découvrir la Pologne et je me consacre pleinement à mes activités métapolitiques et culturelles. 

    Pour des conservateurs occidentaux, la Pologne et la Hongrie jouissent de la réputation d’être, en quelque sorte, des pays sanctuaires de la civilisation européenne, alors que celle-ci semble en plein déclin identitaire, culturelle, politique et même économique à l’Ouest. Après avoir vécu à Varsovie pendant quelques années, confirmeriez-vous cette impression, et comment voyez-vous le futur de la Pologne ?

    Pour être entièrement honnête, mon impression est partagée. Il va de soi que la Pologne – à l’instar d’autres pays d’Europe centrale – fait office de « bastion conservateur » dans l’Europe du xxie siècle ; que l’on songe à la lutte du gouvernement contre les mouvements LGBT ou contre l’avortement (quoi qu’on en pense par ailleurs !) pour s’en convaincre. La très faible immigration de peuplement extra-européenne confère aussi de facto à ces pays ce statut de « sanctuaires ». Pour autant, il ne faut pas se faire d’illusion sur l’état d’esprit qui règne dans une partie non négligeable de la population, en particulier dans la jeune génération. Les valeurs « progressistes » de l’Occident conservent encore largement leur prestige et leur force d’attraction, au point que l’on peut sincèrement s’interroger sur l’avenir du conservatisme en Pologne et sur la pérennité de ce sanctuaire.

    Attention, mon propos n’est absolument pas défaitiste ni fataliste, au sens où je sous-entendrais que le déclin de la Pologne et de l’Europe centrale soit inéluctable. L’histoire est ouverte et il serait présomptueux de ma part d’affirmer que la Pologne empruntera forcément le chemin de ses voisins occidentaux. Ma remarque vise plutôt un des travers qui affecte toute la droite européenne en général : elle n’a pas grand-chose à opposer. Sa posture consiste bien trop souvent à « conserver », au sens le plus superficiel du terme, des formes sociales qui sont déjà mortes ou mourantes. De même, on n’associe à la droite qu’une attitude négative : « Non à l’avortement », « non aux lobbies LGBT », « Non à l’islamisation », etc. Le « Non » peut être dit avec toute la force du monde, je doute qu’il n’ait jamais autant de puissance créatrice qu’un « Oui ». Or tant que la Pologne n’incarnera pas un modèle alternatif de société, elle sera toujours perçue comme une société libérale défaillante qu’il faut réparer ou amender.

    Quel critère guide le choix de vos sujets de podcasts ? Et quels thèmes sont particulièrement prisés par votre public ?

    Mon critère est celui de la pertinence et de la nécessité d’envisager certains sujets sous un autre angle, afin de pousser plus loin la réflexion. Quand je travaille sur une nouvelle vidéo, je me demande toujours si je ne vais pas simplement ressasser de vieilles idées convenues et s’il y a réellement une plus-value à la vidéo que je vais proposer au public. C’est pourquoi j’ai tenu à faire découvrir des auteurs dont on parle malheureusement assez peu dans le monde francophone, comme Giorgio Locchi par exemple, mais aussi Arnold Gehlen sur l’hypertrophie de la morale, Nicolas Danilesvki sur la civilisation russe ou encore Juan Donoso Cortés et sa critique du libéralisme. En règle générale, je remarque que les thèmes historiques (« Mahomet et Charlemagne » d’Henri Pirenne) et les thèmes purement politiques (« La distinction ami-ennemi » de Carl Schmitt) sont les plus prisés par mon public.  

    Le monde de la droite européenne est littéralement déchiré par le conflit ukraino-russe. Croyez-vous qu’il sera possible, du moins à moyen-terme, de recoller les bouts ?

    C’est une question hélas fort délicate, à propos de laquelle la nuance est souvent absente ! Je n’ai jamais caché ma sympathie pour la cause ukrainienne dans cette histoire, mais je souhaite naturellement que les partisans de l’un ou l’autre camp mettent leurs griefs de côté afin de mener à bien leur combat commun pour la civilisation européenne. Je crains toutefois que certaines fractures ne se muent inévitablement en divorce consommé. Si certaines personnes soutiennent la Russie en raison d’une méfiance compréhensible pour le camp atlantiste américain, une bonne partie des militants de droite la soutiennent par pur ressentiment : contre les « élites », contre le « système », contre l’Occident, etc. Comme si la Russie avait pour volonté de sauver les Européens d’eux-mêmes tel un Deus ex machina ! Non seulement c’est s’illusionner sur l’état réel de la Russie, mais c’est aussi perpétuer une erreur qui a cours depuis fort longtemps à Droite, et que Philippe Baillet nomme « l’Autre tiers-mondisme ». Je crains dès lors que le camp « de droite » ne se fracture de plus en plus entre deux tendances irréconciliables : l’une cherchant à sauver la civilisation européenne de l’intérieur, en luttant contre ses tares sans pour autant chercher à la détruire, et l’autre cherchant son salut dans une alliance avec l’extérieur (le monde « traditionnel » musulman, la Chine ou maintenant le Russie), dans l’espoir de détruire cet « Occident pourri ». Cette seconde position me semble être une erreur complète pour la simple raison qu’elle ne comprend pas l’essence du politique. Comme le disait Julien Freund, on n’a jamais « le même combat » qu’un autre ensemble politique.  

    Ce n’est pas un secret de dire que Youtube, bien qu’intéressé avant tout par le gain commercial, n’est pas particulièrement en phase avec les contenus conservateurs, et nous pouvons constater la même chose pour la plupart des plateformes virtuelles monétisées. Comment voyez-vous l’avenir de votre chaîne dans un contexte devenant de plus en plus difficile pour la droite ?

    Il s’agit effectivement d’un équilibre précaire. Ayant moi-même été censuré de la plateforme Patreon pour « Hatespeech » un mois à peine après mon inscription, je suis bien placé pour mesurer la répression de nos idées sur internet. Pour y pallier, j’ai atteint pour le moment une relative autonomie en me dotant de mon propre site internet : www.ego-non.com .

    « Don’t criticise, but create » - telle est la devise de cette série d’interviews. Que conseilleriez-vous à des jeunes lecteurs voulant s’investir dans la lutte pour la survie de l’occident sans compter nécessairement être actifs dans un domaine politique qui éveille de plus en plus un certain dégoût ?

    Je leur donnerais ces cinq conseils au moins :

    1. Fonder une famille ou la consolider : d’un point de vue collectif comme individuel, cette tâche est capitale. Au niveau collectif, il faut impérativement inverser la tendance démographique que connaît l’Europe. Mais un tel raisonnement peut sembler très abstrait. Au niveau individuel, fonder une famille est aussi, et même en premier lieu, une façon de se réaliser comme personne. Si nous vivons pour léguer un héritage, comme je l’ai dit plus haut, il faut bien avoir des héritiers pour qui se battre. Beaucoup de gens, gagnés par le désespoir et le pessimisme, se demandent si cela vaut encore la peine d’agir. Ils ne se poseraient sûrement pas cette question s’ils avaient des enfants.

    2. Renouer avec la Beauté : un des traits de l’époque contemporaine qui me frappe le plus est le culte de la laideur. La laideur s’est infiltrée partout, dans l’architecture, dans la mode, dans l’art, dans la langue, dans la musique, etc. Or, notre combat est autant éthique qu’esthétique. Nous devons incarner une voie aussi rationnelle que belle ; le fond ne va pas sans la forme adéquate.

    3. Apprendre au moins une langue étrangère : en plus de l’utilité évidente que cela comporte, la connaissance des langues étrangères permet de s’évader mentalement et de relativiser les discours qu’on entend dans notre pays. De plus, s’il s’agit d’autres langues européennes, cela permet justement de nouer des liens de fraternité avec des Européens d’autres horizons.

    4. Se regrouper en communautés : face au déclin démographique que nous connaissons, il faut se préparer à vivre en minorité dans de larges portions de nos territoires et être, de ce fait, prêts à nous entraider. De plus, la société étant largement baignée d’idées de gauche insupportables au sens strict, la solitude et l’isolement peuvent rendre fous ceux qui partagent nos idées sans pouvoir les exprimer. Un dicton bien connu disait jadis : « Un chrétien seul est un chrétien en danger ». Or, cela s’applique également aujourd’hui à tous ceux qui ne pensent pas selon le moule conformiste de l’époque.

    5. Se réinsérer dans la longue mémoire européenne : contre les ethnomasochismes de tout poil, de gauche comme de droite, il s’agit de se réapproprier notre histoire, notre identité et notre culture. Les diverses mythologies indo-européennes, la philosophie classique, la religion chrétienne et la science occidentale sont constitutives de l’âme européenne et de sa grandeur. Les simplifications outrancières qui cherchent à faire l’impasse sur telle ou telle dimension de notre histoire sont l’effet d’une cécité intellectuelle qu’il faut dépasser.

    Antoine Dresse, propos recueillis par David Engels (deliberatio, 25 juin 2023)

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  • Léon Krier, chef de file de l’architecture néo-traditionaliste : « Ne vous contentez pas de critiquer, créez ! »

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Léon Krier à David Engels pour le site delibeRatio et consacré à l'architecture néo-traditionaliste. Chef de file de l'école néo-traditionaliste en architecture, Léon Krier est également un des meilleurs spécialistes de l’œuvre architecturale d'Albert Speer.

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    « Ne vous contentez pas de critiquer, créez ! » Interview avec Léon Krier, chef de file de l’architecture néo-traditionaliste

    David Engels : Cher Léon, vous êtes l’un des architectes traditionalistes les plus connus et prolifiques de notre époque, et beaucoup vous considèrent comme le chef de file actuel du refus de l’esthétique post-moderne et d’un retour à un bâti individuel et à un urbanisme prenant comme mesures prioritaires les proportions et les besoins de l’humain, non pas uniquement ceux de la machine. Pourriez-vous nous détailler en quelques mots les bases de votre philosophie architecturale ?

    Léon Krier: Dans les années soixante et soixante-dix, je fais partie de la première génération d’architectes prenant une position non seulement de critique mais de contre-projet vis-à-vis des théories et pratiques modernistes. Témoins des démolitions massives dans nos villes et des banalités scandaleuses qui les suivaient sans exception, on commençait à réévaluer les architectures et villes traditionnelles de l’Europe plus menacées par les utopies modernistes que par les bombardements guerriers. Avec Maurice Culot ou Pierluigi Cervelatti, on comprenait qu’il fallait reconstruire non seulement la ville européenne littéralement, mais aussi son discours jusqu’à la signification de termes clef kidnappés par le modernisme. « Tradition » et « Modernité » ne sont de toute évidence pas des notions contradictoires. Le dit « Mouvement Moderne » indique le seul « mouvement moderniste », alors que la modernité du XX siècle, en matière d’architecture, d’urbanisme et d’art, comprend des pratiques et idées traditionnelles importantes.  Nous ne nous considérons pas comme des traditionalistes, mais des traditionnels modernes. La construction et le succès de Port Grimaud par François Spoerry, la sauvegarde et restauration du Centre Historique de Bologna par Pier Luigi Cervelatti et la Reconstruction du Stare Miasto de Varsovie par Jan Zachwatowicz, universellement acclamées, ont été pour nous les preuves que non seulement des pratiques traditionnelles étaient possibles de notre vie, mais que leur produit était d’une qualité et d’un ordre supérieur à celles livrés par les divers modernismes. La modernité, nous ne cessions de répéter, n’est pas une affaire de style, mais un fait d’époque auquel personne n’échappe. En matière d’architecture et d’urbanisme, le traditionnel moderne est d’abord un choix de technologie et de vie. Dans la ligne de production de la ville traditionnelle qui engage des individus allant de la conception jusqu’à l’utilisation finale, en passant par la fabrication, tous les concernés, que ce soit l’architecte, l’artisan, le promoteur, l’habitant, le propriétaire, le locataire ou le visiteur, trouvent indépendant de leur âge, sexe, classe, religion, race, idéologie leur plaisir au quotidien ; par contre dans la chaine de production et d’utilisation d’un environnement moderniste, il n’y que que le démolisseur qui trouve brièvement son compte.

    Une question qui se trouve au centre de ce débat est sans doute celle de l’esthétique : est-elle purement relative ou plutôt absolue ; c.à.d. : y-a-t ’il un sens inné de la beauté qui (bien que décliné selon les particularités civilisationnelles) favoriserait certaines mesures, proportions et lois esthétiques plutôt que d’autres à travers le temps et l’espace ?

    La géographie, les langues, les races, les classes, les coutumes, les religions et les idéologies représentent, expriment et entretiennent les divisions entre sociétés et individus depuis toujours. Par contre, la beauté de la nature et des produits de l’homme unifie l’humanité. Le Chrétien admire la beauté des mosquées, et le Musulman celle des églises, le prince admire la beauté de l’étable, le paysan celle du château, le libertaire celle du Kremlin, l’enfant celle de l’avion. La beauté s’impose aux sens avec immédiateté.  Nous sommes sans défense contre les flèches de l’amour qui frappent le cœur sans explication et sans examen. L’amour pour la beauté commande et ne se commande pas. La laideur par contre empoisonne le cœur et nourrit le ressentiment.

    Notre monde actuel est devenu, avouons-le, très laid, et l’architecture moderne en fait grandement partie. Quel est l’impact de cet environnement toxique sur l’individu ?

    L’individu frappé et humilié régulièrement finit par s’habituer aux coups, à développer la peau dure et l’insensibilité. On sait aussi que l’enfant battu cherchera un jour son plaisir en battant et en humiliant. La vulgarité, la brutalité, la laideur sont une culture toxique et jalouse. Incapable de réveiller l’amour, elle cherche à posséder par le viol et la dégradation. La croyance aveugle au progrès infini se paye par un prix terrible qui dégrade et voue à l’oublie en quelques générations les valeurs et le savoir-faire qui, accumulés au cours des siècles, ont réussi à construire des demeures et des villes qui embellissent la nature et la vie d’un chacun. Imaginons les conséquences pour la beauté du monde si, soit, tout ce qui était construit avant 1950 disparaissait, ou si tout ce qui était construit après 1950 disparaissait… 

    L’on vous connait surtout pour avoir dessiné la ville modèle de « Poundbury » au Royaume-Uni. Initialement, l’on lui a reproché ce qui a été perçu comme son « anachronisme » et son « artificialité », assurant que le projet était inviable et impraticable, au mieux une fantaisie pour quelques riches nostalgiques. Aujourd’hui, l’on voit au contraire une ville en pleine expansion et aimée de ses habitants venant des couches sociales les plus diverses. Pouvez-vous nous décrire l’histoire de ce succès – et ses raisons ?

    Effectivement, la réception du projet de Poundbury par les « experts » des grands médias était mensongère pendant les premières dix années. On tonnait qu’il s’agissait d’un fantasme du Prince, irréalisable dans l’Angleterre du XXe siècle pour des raisons philosophiques, techniques, politiques, sociales, financières, éthiques et j’en passe. Les critiques architecturaux des grands journaux se ont avérés, sauf exception, être des missionnaires modernistes. Ils ne pouvaient applaudir un projet traditionnel pour des raisons de principe, quelles que soient ses qualités ou son succès. Leur propagande répète depuis un siècle qu’il n’y a pas d’alternative au modernisme, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de liberté de choix ou de démocratie en la matière.

    On le sait : vous avez travaillé pendant beaucoup d’années intensément avec le Prince Charles, commanditaire de Poundbury. Comment voyez-vous les possibilités qui pourraient s’offrir à la tradition sous son nouveau règne ?

    King Charles III reste la personne que je connaissais comme Prince de Galles. Je l’ai vu récemment « for Tea and Scones » à Windsor Castle, et il me semble être plus à l’aise dans sa peau que jamais. Comme ses projets ont énormément de succès de marché, la formule se répand. On reçoit régulièrement la visite de ministres, de hauts fonctionnaires et de puissants du Royaume, du Commonwealth et d’au-delà. Ce qui m’inquiète, c’est que l’idée de la ville polycentrique faite de « quartiers indépendant de 10 minutes », dont je me suis fait champion depuis 45 ans, est en train d’être reprogrammée par le clan du WEF, de l’UN et du WHO en « ville de 15 minutes », qui, à l’aide du contrôle digital et du CBDC, se transformera en archipel du goulag pour mâter toute dissidence aux narratifs du moment, (One Health, Climate Change, Domestic Terrorism…). Le temps dira…

    Quel est, selon vous, le futur de l’architecture traditionnaliste – restera-t-elle toujours en marge de l’écrasante majoritaire du bâti, ou y-a-t ‘il vraiment des chances de la voir retourner au premier plan ?

     L’architecture et l’urbanisme traditionnels sont le produit d’une technologie mettant en œuvre des matériaux de constructions naturels locaux pour construire des villes et villages dimensionnés selon les capacités de locomotion musculaire horizontale ou verticale. L’étalement monstrueux des agglomérations, l’explosion du nombres d’étages, les acrobaties formelles et structurelles, les pertes d’échelle humaine et de beauté de l’architecture machiniste ne sont possible que grâce aux matériaux de construction synthétiques et au clonage industriel, produits des énergies fossiles et nucléaires. Les pays qui, par des actions armées de conquête et de domination, réussiront à sécuriser ces ressources, pourront continuer le projet moderniste jusqu’à l’épuisement définitif. Le reste du monde retournera fatalement à des pratiques de construction traditionnelle. 

    Je pensais pendant très longtemps que, une fois notre théorie générale pour une architecture et un urbanisme traditionnel moderne était formulée et publiée, il y aurait rapidement un ralliement général poussé par des initiatives démocratiques. Maintenant, je sais que ce changement ne se fera pas par choix, mais par fatalité.

    Souvent, on a l’impression que l’architecture traditionnaliste reste un privilège de quelques riches mécènes – comme voyez-vous les chances de son retour dans le domaine de l’immobilier plus humble, à la portée de tous ?

     Peut être sous le prisme de la durabilité, il y a une chance. L’architecture moderniste s’est imposée par la violence de ses promesses. Aujourd’hui, leur fausseté est prouvée, révélant une lutte titanique entre les corporations et institutions financières de grande échelle, en collusion avec les technocraties étatiques, et ce qui reste des lumières, des entreprises individuelles et de la pensée indépendante. Nous allons vers un dénouement apocalyptique qui, pour le moment, me semble inévitable. L’intelligence humaine ne réussira pas à contrôler les effets autodestructeurs de ses inventions et projets. Cela dit, l’urbanisme et l'architecture néo-traditionnels basés sur une économie artisanale, soutenus par une expérience millénaire, sont à ce jour la seule théorie et pratique cohérente de l'action environnementale. Ils sont le seul contre-modèle sérieux à la banlieue et à la motopia. Ils sont une partie essentielle d'un projet de reconstruction d'une démocratie, d'une économie et d'un cadre bâti à taille humaine. Les nombreux architectes et artisans qui les pratiquent à travers le monde, malgré leur formation moderniste, contre la pression écrasante des pairs, contre le sabotage bureaucratique et académique, sont portés par un large soutien public et par la demande du marché. Les architectes et les urbanistes sont confrontés à un choix existentiel : soit servir une dystopie totalitaire, soit planifier et construire le bien commun.

    Cette série d’interviews est placée sous la devise : « Ne vous contentez pas de critiquer, créez ! » Pouvez-vous nous décrire les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?

    La construction du quatrième et dernier quartier de Poundbury est initiée et en bonne main. Cayala au Guatemala initie son deuxième quartier. On finit à l’instant le pont, modelé sur les Cents Marches de Versailles, qui relie le Paseo de Cayala avec Nogales de Cayala en construction.

    Au Mexique, sur un dos de colline près de San Miguel de Allende, on a commencé la construction du premier quartier de Herencia de Allende avec une magnifique église.

    D’autres grands projets urbains en Virginie et au Colorado font leur marche à travers les institutions. Le projet le plus prometteur est au Texas pour la nouvelle University of Austin Texas (UATX), conçue non comme un campus, mais comme une véritable « univercité » qui s’érigera dans une anse de la Colorado River à quelques miles des GIGA fabriques de Tesla et Boring Co.

    Léon Krier, propos recueillis par David Engels (delibeRatio, 20 mars 2023)

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  • Tolkien - un regard sur l'Europe...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par David Engels à Hector Burnouf pour l'émission le Libre journal des littératures du 26 janvier 2023, dans lequel il évoque l’œuvre de J.R.R. Tolkien.

    Historien, essayiste, enseignant chercheur à l'Instytut Zachodni à Poznan après avoir été professeur à l'Université libre de Bruxelles, David Engels est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a  également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020). 

     

                                              

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  • L’Allemagne moderne, un cabinet de curiosités...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur Putsch (!...) et consacré à l'affaire du complot d'opérette démasqué par la police allemande...

    Historien, essayiste, enseignant chercheur à l'Instytut Zachodni à Poznan après avoir été professeur à l'Université libre de Bruxelles, David Engels est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a  également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020). 

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    David Engels : « Le putsch des retraités – ou : L’Allemagne moderne, un cabinet de curiosités »

    Vue de l’étranger, l’Allemagne moderne fait de plus en plus penser à un cabinet de curiosités. Et ce n’est pas seulement la compassion pour les participants involontaires qui empêche l’observateur étranger de se doter d’un paquet de chips et de savourer le spectacle, mais aussi la peur sérieuse d’être entraîné de force sur la scène.

    De quoi s’agit-il ? Le 7 décembre 2022, un grand déploiement de 3000 policiers ont effectué plus de 150 perquisitions et deux douzaines d’arrestations. Dans le collimateur se trouvait un « groupe terroriste » qui aurait planifié le « renversement » de la République fédérale d’Allemagne et qui aurait voulu imposer un nouveau gouvernement. Il s’agissait de la plus grande opération spéciale de police dans l’histoire de l’Allemagne moderne, et la quasi-totalité de la presse allemande s’est montrée dûment choquée par cet horrible danger évité de justesse. Même la vénérable FAZ a écrit qu’il s’agissait d’un « coup d’État comme on en trouve dans les livres. Se basant sur des ‘associations patriotiques’, sur l’armée, sur le meurtre et la violence, couronné par un assaut sur le Bundestag, un nouvel ordre devait être établi en Allemagne. »

    Mais ce qui est censé ressembler à une scène de la vie de Napoléon III se révèle plutôt être une farce surréaliste quand on y regarde de plus près (du moins dans l’état actuel de nos connaissances). La plupart des personnes arrêtées ont largement dépassé l’âge de la retraite ; le prince « Henri XIII », prévu comme futur monarque de l’Allemagne, est un vieil aristocrate de 71 ans, manifestement légèrement dérangé et qui a tenté de « fuir » la police en utilisant son monte-escalier ; les « terroristes » demandaient conseil à deux voyants avant d’accepter de nouveaux conjurés ; et les préparatifs pour la « terreur » et le « coup d’État » consistaient (au total) en un peu plus de quelques milliers d’euros en espèces ainsi que des réserves de nourriture, une arme (probablement légale) et quelques pistolets de carnaval…

    En dépit de cette menace relativement circonscrite pour la survie de la démocratie allemande, le 7 décembre 2022, le parti social-démocrate allemand, actuellement au pouvoir, a tweeté de manière grandiloquente : « Notre démocratie reste défendue ! La plus grande opération antiterroriste de notre histoire a permis d’éviter un coup d’État. » Mais comment cette poignée de retraités mécontents aurait-elle réellement pu entreprendre de renverser la République fédérale d’Allemagne et de justifier ainsi l’intervention de 3000 policiers (alors que les « quartiers à problèmes » sont laissés à l’abandon par manque d’effectifs) ? Les 20 à 30 putschistes séniors allaient-ils se présenter au milieu de groupes de touristes espagnols et japonais devant le parlement, la chancellerie et les ministères clés pour déloger les forces de sécurité à l’aide de béquilles, de déambulateurs, de pistolets de carnaval et de boîtes de raviolis, « occuper » les installations labyrinthiques par un coup de main, puis « dissoudre » le gouvernement – avec un effectif maximal de deux seniors par ministère ? Difficile d’imaginer que tout cela ait jamais été autre chose qu’une fantaisie démesurée d’une poignée d’opposants du troisième âge, frustrés par le gouvernement…

    Évidemment, la surréalité de la situation ne doit pas faire oublier la possibilité réelle qu’un jour, l’un ou l’autre des putschistes pensionnés aurait pu, en effet, causer quelques dégâts matériels, voire même corporels, de sorte que l’élucidation de ce jeu de rôle biscornu est tout à fait bienvenue. Toutefois, l’histoire nous apprend qu’un véritable coup d’État se prépare un peu différemment… Et si nous voulons vraiment envoyer des centaines de policiers à la poursuite de tout groupe de retraités se livrant à des fantasmes politiques compensatoires sur le net, que faudrait-il faire alors des déclarations de bon nombre de groupes écolo-gauchistes proches du gouvernement, pour lesquels le terrorisme, la révolution, la dictature et l’expropriation ne font pas seulement partie de leur rhétorique quotidienne, mais sont inscrits ouvertement dans les programmes et même applaudis par les principaux médias – et ceci non seulement en Allemagne… ?

    Néanmoins, il y a derrière toute cette histoire rocambolesque plus qu’une simple hystérie collective. En effet, pensons à l’affirmation immédiate des politiques, des médias et de la société civile selon laquelle la « menace terroriste » qui venait d’être écartée de justesse prouverait que le plus grand danger pour la démocratie allemande viendrait de cette nébuleuse « droite » qui, selon la ministre de l’Intérieur Faeser, compterait déjà des sympathisants « bien au centre de la société ». Et il est déjà sérieusement question de changer la législation allemande afin de pouvoir limoger sans justification toute personne soupçonnée de convictions anti-démocratiques du service public : ce serait désormais à l’inculpé de prouver son innocence, non à l’employeur la culpabilité de ce dernier. Les extrémistes de droite, les anti-vaccins, les euro-sceptiques, les défenseurs de la vie, les intellectuels conservateurs, les catholiques traditionalistes, les aristocrates, les démocrates-chrétiens et même les libéraux – tous se trouvent désormais cuisinés à la même sauce afin de crédibiliser le spectre d’un renversement « fasciste » imminent de la République fédérale. Et bien évidemment, ce renversement ne pourra être évité que par (vous l’aurez deviné) une mise au pas idéologique écolo-gauchiste encore plus résolue de la République fédérale et une exclusion accrue de tous ceux qui ne font pas explicitement, dans leur profession, leur cercle d’amis, leur famille et leur vie politique publique, preuve de cette allégeance idéologique exigée encore et encore.

    Le fait que les « putschistes » auraient compris effectivement une ancienne députée du parti populiste conservateur AfD, ainsi que quelques policiers et officiers de l’armée fédérale à la retraite, tombe à pic. Même si, pour le moment, toute la situation reste fort confuse et qu’il n’est pas certain que tous les accusés fassent véritablement partie des « putschistes », le scandale renvoie néanmoins à la fonction que ce parti a désormais prise au sein du paysage politique allemand, et dans laquelle les médias, la politique et les services de protection de la Constitution l’ont littéralement poussé : il sert d’épouvantail officiel pour créer un bassin dans lequel on peut détourner tout courant d’opposition sans risquer qu’il ne devienne souterrain et donc dangereux, tandis que son discrédit massif garantit en même temps que le parti ne pourra jamais dépasser une certaine masse critique de soutien à l’échelle nationale.

    La « droite », c’est donc ainsi que s’appelle, et non seulement en Allemagne, cette nouvelle caste d’intouchables, et la gauche ne veut en aucun cas les bannir de la cité, mais plutôt les clouer au pilori de manière visible pour tous afin de resserrer ses propres rangs et de servir d’avertissement à ceux qui seraient encore politiquement indécis. Ainsi, la « répression » grandiloquente du putsch des retraités est un nouveau jalon, peut-être décisif, sur la voie de la consolidation institutionnelle de l’idéologie « woke » en Allemagne. Et l’on peut s’attendre à ce que l’événement soit exploité de la même manière que la « prise du Capitole » aux États-Unis : comme un état d’urgence médiatique permanent, maintenu artificiellement en vie, et qui peut être utilisé à tout moment pour discréditer des personnes, des partis ou des idées qui déplaisent, sans pour autant les interdire complètement – la soupape de sécurité idéale pour ne laisser échapper de la chaudière que la vapeur nécessaire pour rendre la pression supportable…

    David Engels (Putsch, 20 décembre 2022)

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